La catastrophe des Mines de Lalle

Thierry Jarrige
Thierry Jarrige
dans le groupe Histoire de la commune

Le 11 octobre 1861, cent six mineurs périssaient dans l’inondation de la mine de Lalle, au cœur du bassin minier des Cévennes. C’était l’époque de l’essor de l’industrie minière, aux mains de l’aristocratie financière, sous le règne de Napoléon III.

Située sur la rive gauche de la Cèze, à proximité de la confluence avec le ruisseau le Long et le ravin du Castellas, la mine de houille de Lalle a été exploitée dès le XVIII° siècle, de façon relativement modeste et presque artisanale. Les conditions d’exploitation changent radicalement au XIX° siècle avec la loi de 1810 sur les concessions et avec le développement de l’économie financière.

En 1861, quand survient la ‘‘catastrophe’’, la mine appartient à la Compagnie des fonderies et forges de Terre-Noire, Lavoulte et Bessèges qui l’a acquise en octobre 1853. Son directeur est Henri Létaud et son ingénieur Jacques Courroux.

Il y a, à cette époque, trois sociétés minières distinctes dans le bassin de Bessèges : celle de Robiac et Bessèges, que dirigeait Ferdinand Chalmeton, celle de Trélys, dont le directeur était Jules Calas, et celle de Lalle.

Le site de Lalle est alors sur le territoire de Bordezac (érigée en commune en 1841) à la limite de Bessèges (constituée en commune en 1858). Le hameau et la mine de Lalle seront intégrés à Bessèges en 1864.

 

En 1861, la mine de Lalle, qui extrait 45 000 tonnes de charbon par an, emploie 235 ouvriers de fond (mineurs, boiseurs, rouleurs, traîneurs, accrocheurs, manœuvres).

Âgés de 11 à 60 ans, ils sont, pour la plupart, originaires des départements voisins. Les natifs du département du Gard constituent à peine 20% de l’effectif. Plus de la moitié de ces mineurs sont originaires de l’Ardèche et de la Lozère. On compte également des natifs de la Haute-Loire, de la Loire, du Cantal, de la Corrèze, de l’Aveyron, de l’Hérault, de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, de la Côte d’Or, des Ardennes, du Rhône, de l’Isère et plusieurs originaires du Piémont italien.

Plusieurs de ces ouvriers descendent à la mine ‘‘en famille’’. Il y a, parmi eux, des fratries, comme les trois frères Thomas (originaires de la Haute-Loire), les frères Bézulier (venus de la Côte-d’Or), les frères Berjon (de Lozère), les quatre frères Reynard (de Gagnières) ou encore les frères Ferrand (de Concoules), les frères Delcher (du Cantal) ou les frères Jourdan (de Lozère). Il y a aussi des pères et leur fils, comme Jean Pierre Aberlenc et son fils Jean, ou Jean Louis Richard et son fils Armand, ou encore Antoine Vincent et son fils Emilien.

 

Le site de Lalle est exposé de façon récurrente aux crues de la Cèze et de ses affluents. Les accidents causés par le débordement de la rivière abondent dans les registres du XVIII° siècle. Les risques résultant de la localisation de la mine sont donc parfaitement connus depuis l’origine de l’exploitation. Ces risques ont été accentués par l’extension de l’exploitation.

Lors de sa visite d’inspection, en janvier 1858, l’ingénieur du corps des mines de l’État, Alphonse Parran, a noté le caractère très incomplet des plans et de l’historique de l’exploitation.

Dans son rapport sur les circonstances de l’accident d’octobre 1861, l’ingénieur Henri Fournel, inspecteur général des mines, notera « la cause de l’accident est toute entière dans l’ignorance des vieux travaux, voisins de la surface, (…) »

L’ingénieur en chef, Jules Meugy, chef du corps des mines pour le département du Gard, sera encore plus explicite. Il notera : « S’il avait existé à Lalle un registre d’avancement des travaux (…) la Compagnie actuelle aurait eu connaissance des vieux travaux et son directeur n’aurait pas poussé une ‘‘remonte’’ vers eux, créant ainsi, sans s’en douter, une cause de danger dont les effets ont été si funestes ».

En mars 1862, le tribunal d’Alais, tout en relaxant les dirigeants de la Compagnie minière, reconnaîtra que « l’effondrement qui a livré le passage aux eaux eut été impossible sans l’existence d’une galerie de remonte et d’une galerie horizontale pratiquée au niveau du ruisseau ». Il notera que le malheur aurait été évité si le massif de terre, qui séparait ces deux galeries du lit du ruisseau, « avait eu assez d’épaisseur ».

Devant ce même tribunal, les ouvriers rescapés expliqueront que des travaux, récemment exécutés, étaient si proches de la surface qu’on y rencontrait des racines de mûriers.

 Le tribunal établira également qu’un affouillement situé à proximité de la galerie de remonte avait été comblé par de la terre glaise et « que cette matière, facile à dissoudre sous l’action des eaux, ajoutant son poids à celui de la colonne d’eau, a beaucoup augmenté la pression et causé l’affaissement du front de taille de la galerie de remonte » par où les eaux ont pénétré dans la mine.

Malgré ces faits, le tribunal relaxera les dirigeants de la mine de Lalle, retenant la thèse de la fatalité (des précipitations exceptionnelles) et rejetant les fautes commises sur les « propriétaires antérieurs de la concession » qu’il qualifie « d’étrangers à la science des mine ». Et cela, alors même que la Compagnie de Terre-Noire, Lavoulte et Bessèges, exploitant de la mine, en était propriétaire depuis huit années.

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Dès le lendemain de l’accident, les autorités du Second Empire, redoutant une révolte de la population, s’employèrent à encadrer ce drame et à canaliser l’émotion considérable qu’il suscitait dans tout le pays.

Le 12 octobre, à trois heures du matin, le baron Dulimbert, préfet du Gard, arriva en gare de Bessèges, par un train spécialement affrété dans lequel avaient pris place des centaines de militaires, soldats du 41ème régiment de ligne et gendarmes des différentes brigades du département.

Les autorités veillèrent à bâtir une version officielle destinée à prévenir toute velléité de révolte de la population contre les dirigeants de la mine. Cette version, abondamment relayée par une presse sous contrôle (on est sous le Second Empire !) évoquait une fatalité, conséquence de circonstances exceptionnelles et imprévisibles. Les autorités exonéraient ainsi, par avance, les exploitants de toute responsabilité dans la mort de 106 mineurs.

Tout le discours officiel sur la ‘‘catastrophe de Lalle’’ visa à accréditer une version qui tient en deux points : l’accident était imprévisible et tout a été fait pour sauver ceux qui pouvaient l’être.

Les autorités firent en sorte que les ‘‘opérations de secours’’ apparaissent comme le fait marquant de cette ‘‘catastrophe’’.  Ces opérations firent donc l’objet de nombreux communiqués très détaillés, largement repris par les journaux nationaux et locaux. Ainsi que l’avouera le préfet Dulimbert, « il faut que le souvenir du désastre ne puisse pas être séparé de celui des vertus déployées pour le combattre ». C’est dans cette même logique que s’inscrivit la note de l’ingénieur Alphonse Parran ‘‘sur les travaux de sauvetage exécutés aux mines de Lalle à la suite de la catastrophe du 11 octobre 1861’’. Cette note, que le ministre des Travaux publics fera publier (après l’avoir expurgée) dans le Recueil des Annales des Mines de 1863, deviendra la version officielle de l’accident de Lalle.

Si les « opérations de secours » générèrent de nombreuses dépêches, abondamment reprises par des journaux pressés de louer le dévouement des autorités qui « sont à la hauteur de leur mission, à l’exemple du Chef de l’État », en revanche, le nombre et l’identité des victimes ne firent l’objet d’aucune communication. On n’en trouve pas trace dans la note de Parran, et les dépêches relatant les cérémonies des obsèques des victimes ne mentionnent pas le nom des défunts.

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Sur les 142 mineurs qui avaient pris leur poste à Lalle, à l’aube du 11 octobre, vingt-six parvinrent à s’extraire de la mine, cinq en furent retirés le jour même, grâce à l’initiative du ‘‘boiseur’’ Antoine Oberto. Au soir du drame, 111 mineurs étaient donc portés disparus.  

Les cinq survivants retirés de la mine

Deux survivants (Joseph Mouton et Basile Théron) furent extraits de la mine le 15 octobre. Trois autres (Louis Hours, Joseph Marius et François Privat) en furent retirés le 24 octobre.
(Ci-contre : portraits des cinq survivants retirés de la mine)

Dans les semaines et mois qui suivirent, on retira de la mine « 104 cadavres et des débris de cadavre ». Seuls dix-sept corps furent identifiés et firent l’objet d’un acte de décès enregistré à l’état civil de la commune de Bessèges.

Le décès des 89 autres victimes, « dont l’identité du cadavre n’avait pu être constatée », fut établi par une décision du tribunal d’Alès en date du 17 juillet 1862. La liste annexée à cette décision et les actes de décès enregistrés à Bessèges comportent de nombreuses lacunes et erreurs sur le nom, l’état civil, l’âge et la situation familiale des victimes. Cette méconnaissance de l’identité réelle des cent six mineurs décédés à Lalle traduit le peu de considération que les autorités de l’époque accordaient aux ouvriers.

 

Le livre ‘‘Mourir pour les Houillères’’ présente une chronologie détaillée de la ‘‘catastrophe’’ de Lalle et fait revivre la mémoire de ceux qui en furent les victimes. S’appuyant sur des archives jusqu’alors inédites, il rétablit la vérité des faits, contredisant la version qui a été faite de ce drame par les autorités du Second Empire, et établit, pour la première fois, la liste précise des 106 victimes. On trouve, à la fin de l’ouvrage, une notice biographique sur chacune des victimes.

 

Source : ‘‘Mourir pour les Houillères’’, livre de Bernard Collonges (Éditions de La Fenestrelle 2017)

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