LES JARDINS DE LA CEZE

 

De Saint-Ambroix à Bességes la route et la voie ferrée désaffectée, sillonnent la vallée de la Céze. Si l’on chemine à pied le long des berges de cette rivière on découvre une végétation naturelle, une ripisylve très diversifiée d’arbres et de plantes qui contraste avec un patrimoine vivant savamment entretenu dans les méandres fertiles de la rivière : les jardins de la Céze (1) et de ses affluents.

Ces jardins d’agrément et d’appoint procurent des légumes, des fruits et des fleurs aux propriétaires de ces parcelles cultivées. Au moindre rayon de soleil les jardiniers bêchent, sarclent, ratissent et binent le sol pour planter des salades, des radis, des haricots verts, des tomates et des aubergines. Il existe encore au détour des boudénes aux riches alluvions, des fruits et des légumes aux saveurs oubliées cultivés par ces alchimistes de la nature et quelques maraîchers « bio ». Le promeneur devinera les vestiges d’une agriculture et d’un élevage perdus ; ici prés des berges une charrue trace encore quelques sillons, là sur les hauteurs une famille réunie fauche des champs dorés, plus loin un vieil homme taille une dernière fois sa vigne…

L’élevage se réduit à quelques troupeaux de chèvres, de moutons, et à des élevages de cochons, quant aux vaches elles ne paissent plus que sur les rudes pentes et le plateau du mont Lozère !

Depuis combien d’années cette moissonneuse toute rouillée, posée au bord du chemin s’est-elle arrêtée ? Non loin, une ancienne ferme disparaît, rénovée sans précaution, ses dépendances sont détruites. Les murs de la porcherie sont abattus avec ceux de l’étable, le poulailler avec son tas de fumier ensoleillé où quelques poules s’ébattaient, cèdent la place à l’attirail de détente et de loisirs pour les hôtes du gîte.

Les puits résistent toujours, construits en galets de rivière, ils sont recouverts suivant leur état de dégradation d’un toit de lauzes, de tuiles ou de tôles, le jardinier y puise l’eau pour arroser ses carrés de légumes, soumis à l’impitoyable canicule...

Ces jardins sont situés à proximité de la rivière non loin des habitations, parfois ils surplombent le cours d’eau, accrochés à un ouvrage des mines ou celui d’une usine désaffectée, une ancienne station de pompage. Ils sont alimentés par des réseaux d’irrigation érigés pour l’industrie du charbon, du fer, de la soie, du cuir, les moulins. Les baloirs et les petits béals de schistes contrastent avec les barrages et les digues en béton qui dérivent le flot dévastateur lors des crues. Ces édifices persistent à conduire l’eau vers un moulin délabré dont la roue des hautes eaux est posée au bord du chemin, brisée, l’autre morceau gît au fond de la rivière, le moulin des basses eaux disparaît sous les ronces, ignoré de tous. Un autre ruiné résiste aux eaux vives comme un navire désarmé, il sert de gîte à une famille de castors, dans ses pierres mutilées nichent des cingles plongeurs…

Si l’on s’éloigne du cours d’eau, le jardinier devient inventif il remplace la séculaire pompe à bras par « quelques tubes de Bességes » et une pompe électrique qui puise l’eau vers une réserve improvisée : baignoire émaillée, bidons, citernes archaïques ou container plastifié, autant d’ustensiles recyclés pour arroser la terre fertile.

A flanc de colline, vers les oliviers et les chênes, ou les pins envahissants, les réservoirs sont insérés dans les murs de pierres pour recueillir les eaux pluviales. Au pays du châtaignier ces citernes se remplissent avec les eaux des sources captées à l’aide de longs tuyaux noirs ou dans un ouvrage souterrain.

La cabane de toile goudronnée, abri séculaire du jardinier et de ses secrets, raconte toute une vie accumulée dans cet espace, une tonnelle végétale prolonge l’édifice, elle protège la famille et les amis. A l’heure du pastis, on s’assoit autour de la table en plastique sur quelques chaises d’infortunes, les enfants jouent sur les siège délavés d’une voiture dont l’épave aux chevrons a parcouru pendant des lustres les petites routes sinueuses pour livrer la récolte au marché.

L’outillage est rangé dans un coin de la cabane, trésor ethnologique, il raconte l’histoire des générations successives : cultivateurs, mineurs, ouvriers des forges et des tubes, retraités de retour au pays, résidents européens …

Des allées aménagées avec des matériaux de récupération traversent le verger elles permettent de travailler dans chaque parcelle, d’arracher les mauvaises herbes, de planter, cueillir les fleurs et les légumes, de les arroser avec précaution. A côté de la parcelle cultivée le raffinement s’affirme avec quelques simples et des fleurs, le retour à la nature a engendré de nombreux jardins extraordinaires improvisés pour survivre ou aménagés pour satisfaire les citadins en manque de nature, un besoin « d’écologie », ou, tout simplement d’Humanité ?

Quelques chevaux destinés à la promenade nous donnent l’illusion d’un retour à la terre, les activités agricoles s’amenuisent au profit des résidences secondaires. Les berges de la Cèze et de ses affluents sont encore préservées par ces jardins et une végétation très diversifiée qui abrite une faune sauvage fragile, ce laboratoire de l’évolution, sans mur, ni éprouvette, mérite toute notre attention. Indicateur écologique et patrimoine vivant, il témoigne de l’histoire, des efforts des hommes et des femmes pour se maintenir dans ces vallées qui après une période industrielle florissante essayent de trouver un second souffle en valorisant, autrement, cet environnement encore épargné par le développement urbain qui grignote progressivement les flancs des montagnes.

Des hommes gravèrent (2) des roches pour nous transmettre leur savoir, nous initier aux secrets de la montagne et de la rivière cévenole, ne laissons pas ces signes, ces symboles, ces messages disparaître, ils sont dans le prolongement de la grotte Chauvet et de toutes les peintures rupestres, gravures, sculptures, mégalithes de l’Ardèche à la Lozère, une mémoire, une trace de ce contact étroit que nous avons avec la nature depuis des millénaires. Cette ancienne civilisation de la haute vallée de la Céze nous apprend à l’aide de quelques signes, comment elle élevait des animaux et cultivait les jardins sur les bords de la Cèze et de ses affluents.

 

 

 

                        Claude ROUQUETTE

                                     Historien de Marine et Naturaliste

 

Extrait de l’essai sur l’évolution biologique et les transformations de la civilisation « L’Humanité désarticulée » publication 2023, avec les « Fougères noires ».

 

 

Notes :

(1) La Cèze prend sa source au-delà de VIELVIC au dessus de SAINT ANDRÉ DE CAPCEZE,elle s’écoule sur une centaine de kilomètres vers le rhone,aux alentours de Bessèges ses affluents sont la GANIERE ,l’HOMOL,et le LUECH .Cet ensemble de vallées possède une identité géologique, écologique et culturelle remarquable, un véritable « laboratoire de l’Évolution et des Civilisations » qui s’inscrit dans le prolongement du parc national des CÉVENNES et du parc régional de l’Ardèche.



 

(2) Les pierres gravées sont décrites par de nombreux chercheurs comme messieurs Abelanet, Lorblanchet, Anton, Salles, Tillault. Elles caractérisent les montagnes cévenoles comme les faisses, les mas, les ouvrages industriels, l’habitat urbain et rural trop souvent détruits par l’oubli et la malveillance, ou tout simplement le manque de moyens pour les rénover correctement.